« Marque ou crève » s’expose au Sporting de Charleroi.

3 mars 2015
Marc Deriez (rédacteur en chef Paris Match) :
" Je tenais à remercier Mehdi Bayat pour l’accueil qui nous a été réservé dans ce merveilleux espace que sont Les Business Seats du stade du Pays de Charleroi. Ce qui a permis l’exposition de ces très belles photos. Je pense que Charleroi vit une excellente saison, tout baigne pour vous ? "

 
Jean-Pierre Tordeurs de Paris Match

 

Mehdi Bayat (administrateur-Délégué au Sporting de Charleroi)

"Nous vivons, effectivement, actuellement, des moments de bonheur au Sporting de Charleroi, il faut que cela continue, nous sommes toujours dans la course aux POFF 1. À nous de rester dedans au terme des deux prochaines rencontres. Je suis très confiant et optimiste"

Marc Deriez : " Un film s’est déroulé, il y a quelques temps, ici, à Charleroi ?"

Mehdi Bayat : " oui, on parle des "Rayures du zèbre" qui relate quelque part, le même sujet que le livre de Frédéric Loore illustré magnifiquement par des photos de Roger Job. On se doit d’expliquer comment nous sommes réunis ce soir : j’ai eu le plaisir de rencontrer Frédéric, lors d’un débat où nous étions invités par des étudiants. Il m’a expliqué son travail et je ne connaissais pas son livre, à ce moment. Finalement, j’ai été très ému. Je suis confronté, très régulièrement à son problème. Nous sommes régulièrement sollicités par des personnes qui nous présentent les "meilleurs joueurs africains" et malheureusement, cela ne se passe pas toujours bien parce que ces gamins pensent aux rêves qui les attendent ici et ils sont, malheureusement, bien souvent, loin de la vérité. Lorsque l’on regarde l’exposition photos, on s’aperçoit que le côté droit représente le rêve et le côté gauche, lorsqu’ils arrivent en Belgique, reflète, en final, la réalité. Au niveau du club, on le vit, malheureusement, trop souvent. Je tiens aussi à souligner le travail extraordinaire de la Fondation Samilia. Ces personnes soutiennent justement les garçons qui viennent ici et tristement, cela ne se passe pas toujours bien. Lorsque un partenariat nous a été proposé, il était évident que le Sporting de Charleroi, qui est un club professionnel de division 1  puisse s’associer à ce genre d’initiative pour que nous puissions faire part de la réalité des choses et surtout aider ces personnes à éradiquer ce fléau."
 
Marc Deriez : "cette exposition a pu voir le jour, aussi avec la collaboration de "Paris Match", que je représente ce soir et à son journaliste Frédéric Loore aidé par le photoreporter d’horizons mondiaux, Roger Job. Ce sont eux qui sont à l’initiative de tous ces reportages parus, forcément dans "Paris Match"."
 
 
 
 Frédéric Loore (journaliste):
 
"Avant ce reportage, nous avions déjà beaucoup travaillé sur la thématique de la traite des êtres humains et différentes formes de l’exploitation de proies faciles et puis quelqu’un a attiré notre attention qu’en Afrique, on abuse de la situation de vulnérabilité des personnes vivant dans le milieu du football. Nous nous sommes rendus dans la rue, à la Chaussée de Ninove à Anderlecht et nous avons rencontré Séraphin, qui est coach et qui s’occupe de tous ces jeunes africains, la tête pleine de rêves et qui se retrouvent confrontés à une réalité à laquelle ils ne s’attendaient pas:  pas de contrat, pas de club, pas de boulot, pas d’argent, pas d’agent, pas d’intermédiaire, bien souvent en situation illégale, qui vivent dans des squats, de la solidarité, de petits boulots, se font exploiter dans des clubs de divisions inférieures. Voilà, donc, nous étions confrontés à cette réalité-là. Je voulais justement saluer le travail effectué par Séraphin, car s’il ne tient pas nécessairement à obtenir un contrat professionnel, d’ailleurs, comment le pourrait-il ?, il leur apporte un soutien et je pense qu’il faut lui tirer un grand coup de chapeau pour tout ce qu’il fait."
 
 
 
Roger Job (photographe) :
 
"Toutes les photos que j’ai prises ne sont évidemment pas toutes là. Les clichés présentés ici et mis en valeur par le procédé « Romalux », le sont pour raconter une histoire. Je ne suis pas écrivain, mais les photos ont le mérite d’être vraies. Lorsque Frédéric m’a embarqué dans son projet, nous avons travaillé au départ, pendant deux mois, en Belgique. Nous avons rencontré Séraphin qui nous a bien accueillis, il nous a expliqué son vécu et celui de ses garçons. Lorsque nous avons compris la situation de ces joueurs échoués en Belgique, nous sommes partis en Côte d’Ivoire pour comprendre la réalité sur le terrain. Je ne vais pas parler à la place des gars qui sont dans cette situation, certains sont présents dans cette salle. J’ai voulu aussi montrer pourquoi les familles s’endettaient dans l’espoir que leur gamin soit une star du football.  Puis, nous sommes partis en Asie, car dans cette région du monde, le football se développe très fort. Nous avons également rencontré des gamins qui étaient tout aussi vulnérables. Leur situation est terrible, ils sont tous presque en dépression et rien ne prépare des jeunes de 10 ou 11 ans à la légalité. Ils n’ont rien fait, si ce n’est croire en leurs rêves. Entourés de pseudos agents, des véreux, des mafieux, qui profitent de l’espérance de ces jeunes pour s’enrichir. C’est notre travail de dénoncer cela. Un journaliste n’est plus quelqu’un qui met des informations ou des articles dans un journal ou un magazine, c’est quelqu’un qui va à la rencontre des gens. Nous avons,  avec Frédéric, fait ce bouquin qui est aujourd’hui vendu par la Fondation Samilia. Grâce à la Fondation, l’exposition va tourner dans les écoles et est aujourd’hui présentée dans un club de division 1, c’est purement incroyable. Nous pensions que c’était un endroit où nous n’arriverions jamais. Nous remercions sincèrement, monsieur Bayat."
 
 
 
Sophie Jekeler (fondation Samilia) :
 
 
"Je voudrais remercier monsieur Bayat et le Sporting de Charleroi de nous ouvrir les portes de ce magnifique endroit et  remercier également Jean-Pierre Tordeur et Paris Match qui nous apportent l’atout indispensable à la visibilité du travail formidable réalisé par Frédéric Loore et Roger Job. Si la Fondation est présente, c’est aussi grâce à Frédéric qui a été le premier a attirer notre attention sur un domaine que nous ne connaissions pas. Il y a deux ans, le football était pour moi, une inconnue. La traite humaine était pour l’association essentiellement liée à l’exploitation sexuelle. Grâce à Frédéric, nous avons pu aller à l’encontre des joueurs de la rue. Nous avons rencontré Séraphin, c’était une très belle aventure que nous avons commencée, il y a deux ans. Nous étions persuadés que l’urgence pour nous, était de se rendre sur le terrain. C’est pourquoi, une de nos équipes composées de quatre jeunes bénévoles a sillonné durant neuf mois le Bénin, le Sénégal, la Côte d’Ivoire pour terminer par le Congo. Partout, on a rencontré ces jeunes qui s’entraînent dans l’espoir de faire carrière en Europe. Nous nous sommes rendu compte de leur vulnérabilité, de leur insouciance et de la non-connaissance de la réalité du football européen. Si ce soir, à Charleroi, cette exposition peut être mise en valeur, c’est un premier pas vers une sensibilisation du football, ici en Belgique et en Europe. Et montrer ainsi que la traite des êtres humains existe, que nous pouvons la rencontrer même dans le monde du football et que nous voulons l’éradiquer"
 
 
 
Séraphin (coach) :
 
"Je ne m’attendais pas à cette invitation. Les mots me manquent et je suis très ému. Je vous remercie tous de reconnaître le travail que nous tentons de réaliser tous les jours. Les photos présentées ici parlent d’elles-mêmes"
 
 

 

Fréderic Loore, auteur de "Marque ou crève" : "Il faut poursuivre et punir les pseudos agents" 
 
" Avec Roger Job, nous avons beaucoup travaillé sur l’exploitation des êtres humains, sous différentes formes, et l’on a attiré notre attention, un jour, sur le fait que l’on exploitait aussi la situation de vulnérabilité de personnes dans le monde du football, en l’occurrence de joueurs africains. Nous nous sommes rendus à "La Roue", un terrain vague situé à Anderlecht et aussi le point de chute des joueurs africains qui veulent réussir en Belgique et, plus largement, en Europe. De là est parti notre reportage. 
Ce n’est pas véritablement une façon de dénoncer le foot business, mais plutôt de montrer certaines pratiques qui sont le fait d’intermédiaires, pour la plupart Africains, qui vont promettre à des familles de jeunes joueurs de les emmener en Europe et de les faire réussir dans des clubs de très haut niveau. Alors que la réalité, dans la plupart des cas, est une arnaque. Ils demandent entre 5.000 et 7.000 euros à ces familles, les endettent, les mettent dans des situations invraisemblables et au bout du chemin, il n’y a rien.  Je ne pense pas que l’on puisse rejeter la faute sur les parents. Ce sont des gens qui vivent dans des situations misérables. Donc, pour eux, si le gamin réussit dans le foot et obtient un contrat professionnel en Europe, il va faire vivre cinquante personnes. De ce fait, ils encouragent fortement leurs enfants à essayer d’aller au bout de leurs rêves. Mais ils sont, eux-mêmes, victimes de cette arnaque.  
Ces jeunes footballeurs ne sont pas seulement tentés par l’Europe, il y a désormais l’Asie et plus particulièrement la Thaïlande qui est devenue un nouvel Eldorado. Il y a un bon championnat, de l’argent, des sponsors…. On fait venir de jeunes joueurs africains, à qui l’on offre des contrats dans le championnat Thaï. À côté de ceux-là, il en existe des dizaines, des centaines, peut-être des milliers qui se retrouvent dans la rue à Bangkok.
Hélas, cela ne se limite pas seulement au continent africain. Il existe aussi des cas similaires en Amérique du Sud ou dans les pays de l’Est. Mais bon, il est clair que le "gros" du marché, c’est, malheureusement, l’Afrique.  La plupart des ces joueurs, qui échouent, se retrouvent dans la rue. Ils vivent dans des situations illégales, habitent dans des squats, survivent de petits boulots au noir, de débrouille, de la solidarité africaine. Ils essayent, tant bien que mal, de jouer dans des petits clubs de provinciales, où ils reçoivent des sommes dérisoires et sont logés à l’arrière de la buvette du club. Pour eux, dans la plupart des cas, c’est une impasse."
 
 
 
Pour remédier à cela, il faut poursuivre et punir ces pseudos agents, qui profitent de la crédulité et de la misère de ces familles. Il faut savoir, qu’en Afrique, ces gens-là agissent en toute impunité. Ils ne sont jamais poursuivis et il ne leur arrive jamais rien. Donc, il y a des choses à mettre en place. Je pense, également, que l’une des meilleures choses à faire, c’est de faire de la prévention en Afrique. C’est-à-dire, aller à la rencontre de ces jeunes, ne pas leur dire de ne pas venir tenter leur chance en Europe, car cela serait illusoire. Ils viendraient, quand même, tenter leur chance sur notre continent. Mais plutôt leur dire, qu’ils peuvent venir tenter leur chance, mais en faisant attention, car il y a des pièges. Et de leur expliquer les pièges dans lesquels ils ne doivent pas tomber. C’est ce que fait la fondation "Samilia", qui nous soutient. Ils ont un programme de prévention en Afrique, essentiellement.
Il est également certain que l’amélioration des infrastructures, en Afrique, améliorerait les choses. En Côte d’Ivoire, un joueur qui joue dans l’équivalent d’un club comme Anderlecht reçoit 250 € par mois, avec les primes de matches. Et cela, quand il est payé. C’est évidemment des salaires dérisoires. Ils n’ont pas de bus pour aller à l’entraînement, il y a de la corruption, les dirigeants de clubs détournent une partie de l’argent qu’ils reçoivent de la fédération…. Donc, il est certain que le jour où l’on améliorera tout cela, beaucoup de joueurs ne viendront plus. Il faut savoir que, pour eux, il y a une nécessité économique à réussir dans le foot. Avant même le défi sportif, ils doivent réussir pour des raisons économiques. De fait, le jour où ils rencontreront une meilleure situation socio-économique, ils viendront moins nombreux. "